La Via Campesina appelle à la mobilisation contre l’OMC et les accords de libre-échange


Deux décennies après sa création, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – l’un des porte-drapeaux de la mondialisation et du néolibéralisme – est confrontée à une crise existentielle provoquée par le même groupe de personnes qui l’a créée. Cela se produit également à un moment où les paysan·ne·s et les populations autochtones sont dans une situation bien pire qu’il y a vingt ans : leurs terres, leurs rivières, leurs océans et leurs forêts ont subi une érosion massive et des expulsions forcées leur sont infligées par des entreprises avides de profits. Les marchés paysans locaux et les systèmes alimentaires de plusieurs pays ont été décimés par un ordre du commerce international qui ne tient compte que de la marchandisation de tout, y compris des aliments que les gens consomment.

Alors que cette organisation a inscrit dans ses objectifs fondateurs “d’aider les pays en développement à tirer pleinement parti du système commercial mondial”, l’OMC est responsable des problèmes du monde en développement aujourd’hui : la montée du chômage rural, la faim croissante, les inégalités énormes qui existent entre pays et au sein des pays, l’augmentation de la dette mondiale par habitant.

La Via Campesina avertit le monde depuis longtemps sur les risques de dérégulation et d’expansion débridée du capital mondial. En tant que personnes travaillant sur le terrain pour nourrir 70% de la population mondiale, nous avons été les premiers à faire les frais des accords de libre-échange qui ont été mis de l’avant par l’OMC et d’autres institutions multilatérales. L’OMC a pris la tête du peloton en séduisant et en contraignant nos gouvernements à adhérer aux grands projets de quelques pays riches. La dévastation causée par ce modèle descendant de la gouvernance mondiale a d’abord été ressentie sur nos territoires lorsqu’il a fait chuter les prix de nos produits, détruit les marchés paysans locaux, effacé la riche biodiversité qui existait dans nos champs, enlevé notre autonomie sur les semences et chassé des millions de nos frères et soeurs de leurs territoires.

C’est cette destruction des pays qui a forcé l’un des nôtres, Lee Kyung Hae de Corée du Sud, à se tuer devant le lieu de la réunion ministérielle de l’OMC à Cancun, Mexique, en 2003. Le 10 septembre de la même année, lorsqu’il a commis cet acte tragique, il avait autour du cou une banderole sur laquelle on pouvait lire “L’OMC tue les agriculteurs”. Autrefois cultivateur de riz autosuffisant en Corée rurale, Lee avait tout perdu à cause du dumping bon marché du riz et de la viande importés, résultat d’accords de libre-échange imposés par l’OMC. Il a pris une mesure si extrême parce que les riches et les quelques personnes qui dirigeaient ces institutions ou qui en profitaient étaient trop éloignées des réalités vécues dans les campagnes. Son acte de sacrifice a amené le compte rendu déprimant du monde rural juste devant leurs portes, même si, dans ses derniers instants, il a courageusement fait écho aux demandes des paysans et des communautés rurales du monde entier : “garder l’agriculture hors des négociations de libre-échange de l’OMC”.

Depuis lors, La Via Campesina célèbre chaque année le 10 septembre comme Journée internationale de lutte contre l’OMC et les accords de libre-échange, afin de perpétuer le souvenir de Lee Kyung Hae et de ne pas rester muet devant les conséquences désastreuses du libre-échange international.

16 ans après ce tragique incident, qu’est-ce qui a changé ?

Rien, si ce n’est que ceux qui financent l’OMC refusent maintenant de continuer à le faire. C’est ironique quand les riches capitaines du capitalisme prétendent qu’ils ont obtenu de mauvais accords de l’OMC. Il y a donc lieu de se demander qui a obtenu la bonne affaire. Mais ne nous laissons pas berner par cette mascarade de fausses menaces faites par les pays occidentaux riches de se retirer de l’OMC. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à la mise en place d’accords de méga libre-échange bilatéraux et régionaux ou en créant de nouveaux blocs commerciaux unifiés.

Ainsi, alors que l’OMC finira par être affaiblie ou morte, le capitalisme veut continuer à prospérer par d’autres moyens. Il porte des noms différents selon les continents.

Le Partenariat économique régional global (RCEP) comprenant les pays de l’ANASE, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande est l’un de ces accords commerciaux du nouvel âge qui veulent créer un marché unifié dans la région, négocié ” en dehors de l’OMC “. Les organisations paysannes de cette région ont souligné l’impact que cela pourrait avoir sur leurs moyens d’existence, en particulier sur ceux des petits producteurs laitiers, ainsi que les lois restrictives sur les semences et plus encore. Pourtant, ces négociations se poursuivent à huis clos de la manière la plus opaque possible, menées par quelques uns qui n’ont jamais tenu une charrue dans leurs mains !

L’accord UE-Mercosur entre l’Europe et le bloc économique et politique composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela, en négociation depuis 17 ans et finalement signé par la Commission européenne en juillet dernier, en est un autre exemple. La Coordination européenne de la Via Campesina (ECVC) avait averti que l’accord avec le Mercosur menace de saper les normes en matière de santé, d’environnement et de bien-être des animaux dans l’Union européenne, en plus de manquer de cohérence politique avec les grandes promesses faites à la COP 23. Les organisations paysannes du bloc Mercosur l’appellent un modèle néocolonial qui aboutira à une concentration du capital pour quelques-uns et à la pauvreté pour la majorité.

En Afrique, la création de l’Accord de libre-échange continental africain, un méga-accord régional de libre-échange, est ” fondée sur l’idée que la libéralisation du commerce, par la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, augmentera considérablement le commerce intracontinental et que cet accroissement sera bénéfique pour tous “. CADTM, 20191. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité.

Les organisations paysannes du Canada ont également dénoncé l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (USMCA, connu auparavant sous le nom d’ALENA) pour ne pas avoir tenu compte des préoccupations des producteurs de céréales et des producteurs laitiers du pays.

L’Accord global et progressif de partenariat transpacifique (CPTPP) entre l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam a semé la peur de la capture des systèmes de semences par les entreprises, la dilution de la réglementation des OGM et de graves inquiétudes chez les petits producteurs alimentaires.

Bon nombre, sinon la totalité, de ces accords commerciaux comportent la disposition controversée du règlement des différends entre investisseurs et États, qui, dans tous les cas, permet invariablement aux entreprises privées de passer outre aux lois nationales souveraines et de poursuivre les gouvernements nationaux pour menace à leur rentabilité. Un système qui permet aux sociétés privées multinationales de traduire une nation souveraine devant un tribunal international opaque, car le ” crime ” de choisir le bien-être des gens plutôt que le profit est à leurs yeux dangereux et doit être farouchement combattu.

REJETER L’OMC ET LES ALE, MOBILISER POUR UNE ALTERNATIVE MENÉE PAR LES PAYSAN·NE·S !

C’est dans cet esprit que La Via Campesina appelle ses membres et alliés à ne pas se laisser abuser par l’écran de fumée d’une ” OMC en voie d’affaiblissement ” et à prendre conscience du nouvel âge, et que les accords bilatéraux de libre-échange sont aussi voire plus nocifs.

Alors que nous nous souvenons de Lee Kyung Hae en septembre de cette année, agissons, éduquons et organisons aussi les membres ruraux de notre mouvement et nos alliés au sujet des dangers qui guettent ces négociations commerciales faites à huis clos. Il est important que nous rejetions toutes sortes d’accords de libre-échange et que nous œuvrions au démantèlement complet de l’OMC alors qu’elle se prépare à se réunir pour la prochaine réunion ministérielle au Kazakhstan.

Il est important d’informer la population des alternatives paysannes qui existent, qui peuvent nourrir la population et aussi sauver la planète. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), que notre mouvement a remportée après 17 ans de négociations acharnées, est un instrument de protection des droits de nos peuples et nos efforts doivent être consacrés à la faire appliquer dans nos pays.

Il est vital pour nos mouvements de promouvoir et de renforcer les marchés paysans locaux en vendant des aliments produits localement selon des méthodes agroécologiques aux clients locaux, dans le respect de la diversité des systèmes alimentaires locaux. Nous exigeons des politiques nationales qui renforcent ces systèmes de marché paysans et qui rejettent les accords de libre-échange qui constituent une menace existentielle pour eux.

Il est important que nos mouvements sur le terrain soutiennent également la Campagne mondiale pour un traité des Nations Unies sur les droits de l’homme qui vise à mettre fin à l’impunité des sociétés transnationales et à supprimer les dispositions controversées du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, et de tous les accords de libre échange.

A partir du 10 septembre, nous exhortons les 182 organisations paysannes de La Via Campesina dans 81 pays, l’ensemble de nos mouvements sociaux alliés, les institutions académiques, les écoles politiques de formation et les ONG à organiser des actions directes, des événements publics, des sessions d’étude et des manifestations pour exposer les dangers de ces accords de libre-échange dans leurs régions et leurs pays et aussi pour présenter une alternative enracinée dans les cultures locales, leur contexte et leur biodiversité.

Que l’appel de ralliement pour nos actions mondiales soit une fois de plus :

“L’OMC et les accords de libre échange HORS de l’agriculture !”

“Les systèmes de commerce paysan au lieu du libre-échange”

“La souveraineté alimentaire, pas le libre-échange !”

Le lien original de l’article