Les marins pêcheurs de Gaza : vivre et survivre entre eau et sang



Défier les flots de la mer et pratiquer le métier pénible et hasardeux de pêcheur en toutes circonstances.  Ce sont là des entreprises qui pourraient paraître agréables pour certains, ne serait-ce que pour attraper simplement du poisson.

Mais ces activités, les pêcheurs, ici, dans la bande de Gaza, ne la perçoivent pas de la sorte. Tous leurs souvenirs liés à la pêche sont  en effet teintés de la couleur de leur sang écoulé sur les bords de leurs barques et entre leurs filets de pêche. Ce sont des souvenirs de la destruction qui les hante et guette constamment leurs embarcations, leurs outils de pêche et même leurs lamparos au milieu de la nuit en pleine mer. Le quotidien des pêcheurs à Gaza, mon ami Abou Adham l’a résumé en disant : « Bref, nous allons au combat tous les jours, alors chaque matin ou soir nous disons adieu à nos proches ».

Ce sont peut-être les chiffres et les statistiques sur l’ampleur et la nature des attaques des Sionistes et leur violation quotidienne des droits des pêcheurs qui ont amené  Abou Adham et d’autres à assimiler le fait d’aller à la pêche au fait d’aller au combat. Du début de l’année 2019 jusqu’à la fin du mois d’août 2020, la marine de l’occupation sioniste a procédé à 460 fusillades et poursuites à l’encontre des pêcheurs et de leurs bateaux, parallèlement à la fermeture arbitraire et continue des zones de pêche. Ces assauts ont entraîné la blessure de 40 pêcheurs et l’arrestation de 44 autres. Soixante-dix bateaux ont subi des dommages, 15autres embarcations ont été volées ou confisquées et des centaines de filets de pêche ont été détruites.

La détérioration de l’état de santé du pêcheur Khedher Al Saidi, 33 ans, est l’incarnation la plus parfaite de la condition des pêcheurs à Gaza.  Alors qu’il travaillait au large de la côte, ce père de trois enfants s’est retrouvé dans la ligne de mire des soldats de l’occupation. Tout en visant sa tête, les soldats lui ont tiré dessus à balles réelles. La blessure du pêcheur a entrainé sa perte de vue et  l’a privé à jamais des visages de ses enfants, de la lumière  du jour et de ses sorties en mer.

La majorité des habitants de Gaza ; l’enclave assiégée et économiquement fragile, souffre de la pauvreté, du chômage et de l’insécurité alimentaire.  Les habitants dépendent d’aides  éparses qui ne leur permettent de subvenir qu’à une partie minime de leurs besoins de base. Et récemment, leur précarité  a été exacerbée par la pandémie du Covid 19, dont l’émergence a coïncidé avec le maintien de l’interdiction d’accès à la mer pendant plus de deux semaines.

Dans cet état de choses, le pêcheur se retrouve avec le lot de douleur le plus lourd. Il souffre de surcroit de la peur et craint constamment les meurtres et le terrorisme sioniste. Quant à la mer, sa principale source de revenus, elle est utilisée par les forces d’occupation sioniste comme un moyen de pression pour étouffer la population de Gaza et lui infliger une forme de punition collective, pourtant interdite par les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme.

A Gaza, tout contrarie le pêcheur. Même les accords d’Oslo avec l’occupant sioniste l’ont privé de son droit fondamental d’accès à la mer, limitant cet accès à quelque 20 milles marins, qui diminuent souvent au gré des envies l’occupant et de sa haine. Dans la plupart des cas, cette zone autorisée ne dépasse pas 40% de la zone approuvée par les accords d’Oslo.

Plus de 3 600 pêcheurs – dont une seule femme – se disputent  cet espace étroit, avec pas plus de 1700 bateaux de différentes tailles. Sachant que la pêche est autorisée la plupart du temps jusqu’à 3 milles nautiques ou 6 milles nautiques, alors que signifient réellement ces limites?

Comme l’indique la fiche d’information préparée par le Réseau des ONG palestiniennes à la mi-2019, la limite autorisée des 6 milles nautiques signifie la confiscation de 70% de la zone de pêche  précisée par les tristement célèbres accords d’Oslo. La borne des 3 milles nautiques, elle, prive les pêcheurs de 82% de la zone de pêche établie par les mêmes accords.

La pandémie du Covid 19 représente un nouveau défi pour les travailleurs du secteur de la pêche dans la bande de Gaza. La fermeture des marchés centraux et la difficulté de déplacement des pêcheurs se répercutent sur la commercialisation de leur production. Les pêcheurs craignent également une éventuelle la propagation du virus parmi eux. Une telle contagion arrêterait la pêche et priverait ainsi près de 60 000 personnes de leurs maigres moyens de subsistance et de leur sécurité économique et alimentaire.

Malgré la dure réalité des pêcheurs de Gaza et les tentatives continues de l’occupation pour les forcer à quitter la mer, ils sont encore plus fermes et déterminés à préserver leur droit à la mer et à la pêche, et pour cela, ils sont disposés à faire tous les sacrifices. Les comités de pêcheurs locaux, affiliés à l’Union des comités de travail agricole, sont un puissant outil dont disposent les pêcheurs dans la lutte pour défendre leurs droits. Vu la faiblesse manifeste, voire l’absence du syndicat des pêcheurs, censé protéger et défendre travailleurs du secteur, les comités locaux permettent à leurs membres d’élever leurs voix et de soulever leurs problèmes et leurs préoccupations.

La ténacité légendaire des pêcheurs de Gaza devrait être accompagnée d’un travail inlassable et d’efforts diligents de leur part pour organiser leurs rangs et construire un organe représentatif fort qui leur permet d’obtenir leurs justes droits et d’empêcher leur violation par quiconque.

Dans ce contexte, les agences gouvernementales et non gouvernementales devraient mettre en œuvre des mesures pratiques aux niveaux national et international pour mettre fin aux souffrances infligées par l’occupation sioniste aux pêcheurs.

Il s’agit principalement de :

 – Lever complètement et définitivement le blocus terrestre et maritime qui asphyxie la bande de Gaza depuis 2007.

– Ne pas accepter l’entrée de certaines denrées alimentaires et de certains matériaux industriels et produits manufacturés comme une alternative à la levée du blocus.

–  Activer l’aspect juridique et des droits de l’homme au niveau des organes officiels et des organisations de la société civile et recourir à la justice internationale, en poursuivant l’occupation sioniste devant la Cour pénale internationale puisque ses crimes contre Gaza et ses pêcheurs sont des crimes contre l’humanité.

– Renforcer les relations avec les syndicats et organisations de pêcheurs de la région arabe pour soutenir le pêcheur palestinien.

– Activer et favoriser la solidarité internationale en s’appuyant sur les mouvements sociaux et les alliances populaires internationales favorables aux droits palestiniens et orienter cette solidarité d’une manière créative pour contrer l’occupation sioniste.

 – Profiter de l’appartenance de la Palestine à des mouvements jouissant d’une forte présence internationale tels que le mouvement  La Via Campesina (la voie paysanne), et le Forum Mondial des Peuples de Pêcheurs – WFFP. A eux seuls, les deux mouvements réunissent plus de 200 millions de personnes ; ce qui représente un forum pouvant peser considérablement en faveur de la cause des pêcheurs. Dans ce contexte de mobilisation internationale, il est nécessaire de s’appuyer, en plus des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, sur la Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 2018.

Un dernier mot avant de conclure : les droits fondamentaux sont imprescriptibles et aucun droit n’est perdu, tant qu’il y a quelqu’un pour le revendiquer. Gaza persistera dans sa lutte et, bientôt, elle rejoindra Haïfa, Acre, Beyrouth, Lattaquié et Tunis pour orner, comme il se doit, les côtes de la Méditerranée.

Saadeddine Ziadé

Coordinateur de Via Campesina en Palestine

Cet article a été publié en arabe dans le premier numéro du magazine «Siyada», novembre 2020

Traduit de l’arabe par Hafawa Rebhi