Cet automne, sur le trajet Alger-Laghouat, de nombreuses personnes ont été frappées par le niveau d’aridité des paysages. Les témoignages des familiers de cet axe routier peuvent se résumer à « c’est du jamais vu ».
Deux années sans avoir fait le trajet, avec ce qui a été rapporté, j’étais censé être préparé à ce que j’allais voir. Mais je ne m’attendais pas à être un jour témoin d’un tel désastre. J’avoue être particulièrement choqué par l’impact de la sécheresse et par sa gravité sur les différents écosystèmes traversés. Des images bouleversantes, qui ne correspondent à aucun cliché enregistré par ma mémoire visuelle depuis l’enfance, c’est à dire de toute une vie. Même dans les années 1970, suite à la grande fracture climatique qui a sévi dans cette région africaine, on croisait sur la route des convois de la SNTR (Société Nationale du Transport Routier) qui acheminaient des aliments au Sahel, mais les paysages étaient luxuriants au regard de leur état actuel.
Cet écrit répond au devoir d’alerter, mais surtout à un besoin d’exprimer une préoccupation concernant le devenir des zones parcourues et des populations qui tentent d’en vivre.
On peut retenir certaines observations faites sur le trajet aller-retour, de la nationale N°I Alger-Laghouat, le 13-14 octobre 2021. Pour rappel, le trajet passe par les piémonts de l’Atlas Saharien, la zone steppique, l’Atlas Tellien, la Mitidja, et le Sahel, avec successivement des climats qui vont grossièrement du prédésertique au subhumide.
Berrouaguia (sud)–Ksar Boukhari–Laghouat.
– Les vignes, les figuiers, et les abricotiers perdent leurs feuilles sous l’effet du niveau de stress hydrique.
– Les pommiers, pruniers (plus exigeantes en eau) : dans beaucoup de cas les arbres dépérissants semblent morts.
– Les étendues steppiques, habituellement cultivées en pluvial, ne sont que des surfaces dépourvues de toute végétation (spontanée ou cultivée). Un seul cas de « labour » du côté de Aïn Ouassara, la céréale a à peine réussi à lever, qu’elle souffre déjà du manque d’eau. L’agriculteur s’est risqué visiblement à miser sur le passage d’une averse qui tarde à venir.
– Les énormes meules de foin, disposées habituellement à proximité des habitations, qui constituent le stock d’hiver, sont inexistantes. Parfois on voit en guise de stock l’équivalent d’une quarantaine de bottes. Sachant que grossièrement, il faut une botte/jour pour nourrir une dizaine de brebis. La pâture étant quasiment inexistante, les aliments concentrés (orge, blé tendre, maïs…) devenus hors de prix, on n’a donc aucun mal à imaginer la situation dramatique des agropasteurs.

On est frappé par les immensités de terres nues, habituellement semées, dégradées par des décennies de travaux agricoles inappropriés, de structure fragile par manque de d’humus complètement exposée aux agressions climatiques. On l’est aussi par l’aspect d’une végétation spontanée rabougrie, réfugiée sur les crêtes et sur les terres marginales, d’une couleur terne, d’un vert virant au gris, incapable de croître donc de produire de la biomasse, ce qui explique l’absence d’animaux. Les paysages sont couleurs terre, les quelques îlots de verdure qui les ponctuent signifient qu’il y a irrigation.
Partout, la végétation steppique, soumise à un surpâturage persistant, ayant échappé aux labours, semble opposer une lutte perdue aux actions anthropiques.
– Un seul troupeau, sur du « g’sil » (stade végétatif pendant lequel les feuilles, peuvent être broutées)dans une cuvette, du côté de Bouguezoul. Bien loin des paroles de la fameuse chanson sur la multitude de troupeaux parsemés entre Djelfa et Laghouat entrain de brouter.
– Sur tout le trajet, on voit peu de personnes sur les champs, deux tracteurs en train de travailler le sol. On constate une baisse générale de l’activité humaine pour ne pas dire son absence.
Quand à la Mitidja, à elle seule, la vue de figuiers (connus pour leur rusticité) en train de se défolier sous l’effet du stress hydrique, est un indicateur de l’ampleur de la catastrophe.
Récurrence, et intensification fréquence de l’épisode malheureux : Cataclysme ?
Les agriculteurs/pasteurs, n’ont pratiquement rien récolté de la campagne 2020-2021 (certains affirment n’avoir même pas pu récupérer de quoi semer), et n’ont jusqu’à présent rien semé pour 2021-2022. Une grande partie de ces paysans peut être présentée par une typologie, 20-50 brebis, 2-3 vaches, 10-50 ha de céréales en pluvial, ou l’équivalent par rapport aux revenus.
Les arbres fruitiers produisent généralement sur du des rameaux de 1, 2 ou 3 ans, en fonction des espèces, mais dans tous les cas, la production est portée sur du bois. Pour illustrer, on peut prendre l’exemple de l’olivier qui ne produit pas de bois cette année, sans « armature », il aura une production médiocre l’année prochaine. Donc même si 2021-2022 sera une campagne ordinaire il faudra s’attendre à une faible production.
L’impression de ces paysages agricoles désertés, donne à croire que les populations ont été chassées par une nature en train de se muer en un désert hostile. Les niches de survie dégagent une telle inhospitalité qu’elles remettent en question l’habitabilité des lieux. Quand on pense à l’impact du stresse hydrique sur la réduction cumulative de la microbiologie des sols, la faune et la flore, et d’une manière générale sur l’érosion de la biodiversité, on a la désagréable sensation qu’un seuil vient d’être franchi, peut être le point de non retour ; un point qui signale que la chaîne trophique est au bord de la rupture d’équilibre. Cette chaine alimentaire qui démarre de sols microbiologiquement sains et vivants, dont la fertilité est la source de la production alimentaire, risque d’être brisée.
Sommes-nous en train d’assister à l’effondrement des écosystèmes préexistants, à un déplacement des étages bioclimatiques ou à la naissance d’un désert ?
Quand on sait qu’il y a pratiquement les mêmes conditions météorologiques, de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, on réalise que c’est une bonne partie de la population algérienne, éleveurs, céréaliers, agriculteurs… qui est touchée. Tout ceux dont les ressources sont directement ou indirectement liées à la pluviométrie, risquent de basculer dans l’extrême pauvreté, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer. Devrions-nous prendre conscience de l’existence de cette menace existentielle, qui ne permet pas d’abandonner des milliers de paysans à un sombre destin?

La catastrophe climatique est là ; l’adaptation !
Sous un certain angle, les changements climatiques nous amènent à mettre en place des outils de gestion des extrêmes : d’épisodes secs, et d’inondations. Dans notre cas, les pluies qui arriveront risquent fort d’être diluviennes, avec une intensité du même ordre que la sécheresse. Elles auront peu d’effets sur la recharge des nappes, car la battance* des sols induite par une gestion minière et l’absence de couverts végétaux favorisent le ruissellement. De plus, elles risquent de coïncider avec la période gélive durant laquelle il n’y a pas de poussée végétative ; « la végétation est au repos », période connue des paysans comme les nuits mortes.
Puisque la précarité des populations locales est directement liée à la fragilité de la chaîne trophique, il y a donc augmentation des risques d’insécurité alimentaire. Il est urgent d’élaborer des stratégies d’adaptation agroécologiques qui accroissent la résilience des activités économiques, avec comme objectif de les ajuster rapidement aux impératifs climatiques.
Il faut se mettre à anticiper les risques tout à fait prévisibles au lieu d’en subir les conséquences, puisque la tendance graduelle des changements climatiques va nous contraindre à gérer des situations de plus en plus critiques. Pour cela, il faut des dispositifs d’analyse, des indicateurs de résilience écosystèmique, l’accès aux systèmes d’alerte précoce, aux informations sur les conditions météorologiques… Il faut que les dirigeants se rendent compte que notre résilience alimentaire est notre priorité.
Les contextes locaux vont, dicter des séries de mesures, dégager des pistes opérationnelles, qu’il faudra intégrer dans une nouvelle définition des politiques agricoles et alimentaires nationales, ayant la capacité de surmonter les défis biophysiques du XXIème siècle.
Il parait que l’ONU a prévenu: « La sécheresse est sur le point de devenir la prochaine pandémie et il n’existe aucun vaccin pour la guérir ».**
*Formation de croûtes, qui imperméabilisent la surface du sol, freinent l’infiltration de l’eau dans le sol, augmentent les risques de ruissellement et d’érosion hydrique.
** La sécheresse sera la « prochaine pandémie », alerte l’ONU : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/eau/isr-rse/la-prochaine-pandemie-sera-celle-de-la-secheresse-previent-l-onu-149938.html
Sofiane Benadjila est un Ingénieur agronome-Consultant algérien. Il vit à Laghouat.