La région de Zagora figure parmi les zones les plus durement touchées par les dérèglements climatiques, se démarquant notamment par l’impact prononcé de ces bouleversements sur la vie des femmes. Récit de femmes oasiennes.
Nous nous trouvons à Tamgroute, une commune de Zagora située à seulement 20 km du centre-ville. Tout au long du trajet, on constate les effets sévères des changements climatiques. Le climat semble ordinaire, ni trop froid ni trop chaud. Sur les alentours, des enfants jouent, tandis que quelques femmes portant leur haik vaquent dans les oasis asséchées.
Notre destination est l’Association des femmes pour le développement et la coopération, l’une des associations les plus renommées de la région, engagée activement en faveur des droits des femmes, de la justice de genre, et de toutes les questions relatives aux femmes. Cet espace constitue un lieu où les femmes des oasis viennent apprendre et innover, cherchant des alternatives pour faire face aux changements climatiques qui ont rendu leur vie plus difficile.
Les conséquences de ces troubles environnementaux se font sentir de manière significative au quotidien, mettant en lumière les défis spécifiques auxquels les femmes sont confrontées. L’interaction complexe entre les changements climatiques et les réalités vécues par les femmes souligne la nécessité d’approfondir la compréhension de ces dynamiques.
Femmes oasiennes: la double peine
Lors de notre trajet vers l’association, nous avons marqué un arrêt pour contempler la réalité cruelle qui se dévoile dans cette région autrefois florissante, ornée de majestueux palmiers qui, à présent, se dressent desséchés. Les palmiers, autrefois généreux, ne portent plus que quelques dates éparses.
Au loin, une femme agenouillée attire notre attention. Elle entonne des extraits de chansons sahraouies, des lamentations profondes sur la difficulté de vivre dans ce climat inhospitalier. Sa voix, empreinte de tristesse et touchée par les ravages du changement climatique, résonne comme une mélodie de chagrin, préservant néanmoins la douleur de ses blessures, comme nous l’a expliqué notre guide : « Cette femme partage l’histoire de son oasis qui représentait autrefois son paradis. Aujourd’hui, elle exprime sa souffrance enquête d’eau et en récoltant les maigres récoltes de ses palmiers, regrettant le vide qui s’est installé dans l’oasis au fil des années, une conséquence de la sécheresse persistante et de la désertification induites par le changement climatique, nous explique-t-il.
Cette femme exprime sa souffrance en quête d’eau et en récoltant les maigres récoltes de ses palmiers, regrettant le vide qui s’est installé dans l’oasis au fil des années.
Et d’ajouter : « Elle pleure ainsi ses voisins et ses proches qui ont migré à la recherche de conditions de vie dignes, assurantainsi un avenir meilleur pour leurs enfants », ajoute-t-il. « Elle affirme que l’oasis était autrefois une couronne au-dessus de leurs têtes, mais aujourd’hui, elle est morte, tout comme elle l’est aussi ».
Les paroles de cette femme révèlent le deuil d’une communauté qui voit ses fondations s’effriter sous les effets dévastateurs du changement climatique.
Cette tragédie place les femmes oasiennes en première ligne face aux effets dévastateurs du changement climatique : sécheresse, désertification, rareté des ressources en eau, annonçant ainsi une imminente crise alimentaire.
La dure réalité de la vie était palpable sur les visages des femmes. Certaines, silencieuses par pudeur, respectaient les traditions de décence prévalant dans la région de Zagora, où hommes et femmes demeurent souvent séparés.
Oubliées des oasis: destins féminins perdus
Nous arrivons à l’association où Latifa Alaoui, une femme courageuse, occupe le poste de présidence. À l’entrée, des femmes commencent à arriver. Cet espace n’est pas seulement une association pour elles, c’est une seconde maison, une thérapie, un lieu d’écoute, de partage, d’apprentissage et de solidarité.
« Ce ne sont pas simplement des bénéficiaires, mais ma deuxième famille. Ici, nous partageons tout, parlons des souffrances des femmes oasiennes, partageons nos joies et nos peines », affirme Latifa.
«Les oasis ont péri, et avec elles, notre existence a été profondément altérée».
Latifa Alaoui, présidente de l’Association des femmes pour le développement et la coopération Zagora.
Dès les premiers mots de notre conversation avec Latifa, la douleur dans sa voix reflète la marginalisation de la population de cette région du Maroc, les femmes étant les plus durement touchées.
« La sécheresse a durement impacté les oasis. Autrefois, nos femmes offraient à leurs enfants une vie magnifique grâce aux richesses de notre région, mais ce n’est plus le cas« , relate-t-elle.
Elle explique que ces dernières années, nous observons une souffrance double. Les femmes sont arrivées à un point où elles ne peuvent plus subvenir aux besoins élémentaires de leurs enfants. Quant aux hommes, eux, sont dans une impasse car sans agriculture, la seule profession possible ici, ils n’ont ni travail ni perspective depuis leur naissance.
Et d’ajouter : « Aucune ressource d’eau pour l’agriculture, nous avons à peine de quoi boire pour survivre. Le lac n’est plus viable, et des années de sécheresse successive ont exacerbé la situation. Le barrage, en premier lieu, est la cause principale de la disparition des oasis. Les oasis ont péri, et avec elles, notre existence a été profondément altérée. Nous avons traversé d’énormes crises et là ce sont les pires».
En parlant avec Latifa, une voix puissante résonne dans l’une des salles de l’association, c’était celle d’une vielle femme portant un hayek noir sahraoui.
«Ici, nous n’avons plus les moyens de vivre. L’oasis était notre unique raison de vivre, notre paradis. Nos enfants sont partis chercher de meilleures conditions de vie, mais nous ne le pouvons pas. C’est notre terre, notre chez-nous, là où nous appartenons, là où nous pouvons respirer. Mais nous sommes appauvris », explique-t-elle avec un ton à la fois fort et brisé, échangeant avec ses collègues.
«C’est notre terre, notre chez-nous, là où nous appartenons, là où nous pouvons respirer. Mais nous sommes appauvris ».
Femme oasienne de la région Zagora.
Approchant pour écouter leurs souffrances, Zahra, une femme d’une trentaine d’années, se porte volontaire : « Avant, nous travaillions dans les champs, de nos oasis nous élevions nos enfants, achetions ce dont nous avions besoin, nous nous permettions même des bijoux en or. Mais ces quatre ou cinq dernières années, nous n’avons plus rien, ni productions, ni travail. »
« La femme est marginalisée à un niveau que vous ne pourriez pas imaginer. Avant, nous travaillions dans les champs, comme on dit dans notre langage : la femme travaillait tout le temps, d’un automne à l’autre. Maintenant, nous passons nos journées chez nous, » raconte-t-elle.
«Nous voulons des projets qui aident les femmes à trouver d’autres sources de revenus pour survivre».
Zahra, femme oasienne de région Zagora.
« La sécheresse nous a détruites. Nous vivions très bien grâce à nos palmiers, mais ce n’est plus le cas. Nous voulons des projets qui aident les femmes à trouver d’autres sources de revenus pour survivre. Nous voulons des aides des autorités pour ne plus rester marginalisées. Nous ne voulons pas partir, c’est là où nous appartenons, » conclut-elle ainsi notre conversation.
Des mots forts, de femmes oasiennes connues par leur courage, force et sérieux, des femmes qui faisaient la majorité des activités dans leurs oasis, et qui sont maintenant les plus touchées dans cette région déjà marginalisée et qui subit belle et bien les changements climatiques.
Comme l’a souligné Latifa, ainsi que de nombreuses femmes que nous avons rencontrées, la force et la solidarité demeurent ancrées chez les femmes de cette région. Latifa a elle-même été victime de multiples répressions en raison de son militantisme. À notre arrivée, l’association était plongée dans l’obscurité car l’électricité avait été coupée. Elle nous a également expliqué qu’ils avaient été privés depuis des années des aides financières auxquelles son association aurait dû avoir droit.
«L’oasis est notre mère, elle est l’amour, la résilience. Je l’aime profondément et je ne la quitterai jamais».
Latifa Alaoui, présidente de l’Association des femmes pour le développement et la coopération Zagora.
« On nous a marginalisées, appauvries, mais mon combat continuera jusqu’au jour où ces femmes auront leur voix. Je ne fermerai jamais mesportes à elles. Je les réunis autour d’un verre de thé, nous nous écoutons les unes les autres et partageons nos joies et peines. C’est aussi une forme de résilience », relate-t-elle avant de continuer : « Les femmes de cette région sont confrontées à toutes sortes de violences, que ce soit sociales, conjugales ou autres. Mon militantisme vise à les aider à changer cela. Nous ne demandons pas grand-chose, nous voulons simplement être vues, aidées avec des projets adaptés à notre région, » explique-t-elle, les yeux empreints de larmes.
Lorsque nous demandons à cette militante ce que représente l’oasis pour elle, ses larmes s’écoulent avant qu’elle ne réponde : « L’oasis est notre mère, elle est l’amour, la résilience. Je l’aime profondément et je ne la quitterai jamais. C’est déchirant de la voir ainsi, mais j’ai foi en Dieu que nous verrons la pluie et que notre chère oasis renaîtra, tout comme notre vie.”
Sur ces témoignages puissants nous quittons Tamgroute, nos pas résonnent sur le sol sec, les oasis asséchés mais notre esprit porte l’espoir vibrant que « Leghzla Zagora », comme ils l’appellent, renaîtra telle un phénix dans le désert. Ces femmes, gardiennes intrépides de cette oasis, méritent de voir éclore l’amour unique qui les lie à ces terres résilientes. Sous la lueur d’une grande lune, on fait notre départ de cette région témoignant de l’impact des changements climatiques sur les femmes, un sort partagé dans plusieurs autres régions du Maroc…
Par Imane Bellamine (Texte) et Anass Laghnadi (vidéo), envoyés spéciaux de ENASS.ma* à la province de Zagora
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*Ce contenu a été réalisé en partenariat avec la Fondation Rosa Luxembourg (RSL), bureau de Tunisie. Son contenu relève de la seule responsabilité de ENASS.ma et ne reflète pas nécessairement l’opinion du partenaire.