L’agriculture de montagne au nord-ouest tunisien, un modèle à découvrir !



Introduction

La Tunisie n’est pas un pays de montagne ; le point culminant du pays (Châambi), au centre-ouest, ne dépasse pas les 1544 m d’altitude, largement au-dessous des sommets connus d’Algérie ou du Maroc. Le nord-ouest tunisien constitue la région la plus boisée et la plus arrosée du pays (désigné par Kroumirie dans le reste du texte). Elle en constitue le château d’eau où la plupart des barrages du pays y sont construits.

Dans ces régions, les installations humaines remontent à la nuit des temps, mais les densités des populations étaient réduites, comme l’attestent les nombreux récits de voyages datant surtout du XIXè siècle, avant l’avènement de la colonisation. La région était surtout connue pour être un refuge pour ceux qui fuyaient les pouvoirs centraux tant de Tunis que de Constantine, en Algérie. Elle fut également une zone refuge pour les maquisards algériens pendant la guerre de libération nationale. Les traces de leur présence s’effacent au fil du temps, tout comme leurs histoires…

Le paysage de la Kroumirie est surtout dominé par les forêts de chênes (chêne liège et chêne zeen en particulier), et nombreuses populations s’y sont installées. La rudesse des conditions de vie ont amené nombreux parmi eux à quitter leurs hameaux pour migrer en ville, notamment au cours des années 1970-1990. Le mouvement d’exode continue, mais par petits contingents, même si les conditions de vie de la population se sont améliorées au cours des vingt dernières années (routes, électricité, écoles…). Cependant, l’accès à certains services de base demeure difficile, notamment aux centres de soins, peu nombreux et parfois éloignés des lieux d’habitation, ou encore les écoles, éloignées des lieux de résidence des écoliers. L’accès à l’eau en particulier pose problème, surtout pour les populations isolées, par suite du tarissement des sources dont elles dépendaient, mais aussi en raison de l’insuffisance du débit de certaines sources, suite à l’accroissement des besoins en eau, tant pour la consommation humaine que pour celle du bétail. Malgré l’abondance relative des eaux de pluie, la collecte des eaux de pluie ne s’est pas encore développée dans la région, et la solution adoptée par la population est le captage des sources, parfois à plusieurs kilomètres de distance, ou l’acheminement de l’eau dans des fûts en plastique de points d’eau collectifs (fontaines ou sources). Remarquons par l’occasion que l’acheminement de l’eau se fait à dos d’âne ou de mulet, et que cette tâche est assurée tant par les hommes que par les femmes ou les jeunes des deux sexes

Dans certains cas, nous avons pu voir des femmes transportant de l’eau sur leur dos, probablement à cause de la proximité de leur foyer de la source de ravitaillement.

L’agriculture de montagne au nord-ouest de la Tunisie

Traditionnellement, les activités agricoles en milieu montagnard commencent par le défrichement de la forêt. Ces défrichements exceptent quelques espèces : l’olivier, l’azerolier et le caroubier, s’il existe. Plus particulièrement, l’olivier ne subit aucun entretien (taille, arrosage), et les habitants se contentent de le récolter tous les ans.

Oliveraie issue du défrichement d’une forêt

L’espace entre les arbres est utilisé comme terrain de parcours ou semé de céréales. Cependant, nous avons constaté que le greffage de vieux oléastres commence à voir le jour dans certains secteurs.

De nouvelles formes de culture ont commencé à voir le jour, notamment la culture du noyer, ou aussi l’association entre le noyer et l’olivier. La culture de certains arbres semi-forestiers, introduits par les colons, comme le châtaignier, n’a pas été entretenue par les habitants des forêts. Il y a des essais consistant à planter du laurier sauce, mais sont encore localisées et ne semblent pas non plus susciter de l’intérêt.

Jeune verger associant l’olivier au noyer

Cependant, les principales activités agricoles des habitants des montagnes demeure la céréaliculture et l’élevage.

Paysage montrant les parcelles cultivées de céréales, à la base d’une montagne entièrement défrichée

Concernant la céréaliculture, la principale culture étant le blé, mais en raison de la pente raide des terrains, de la nature des sols et de la superficie réduite des terrains cultivés, le labour se fait encore à l’araire, en utilisant la traction animale (bœufs ou mulets).

Labour à l’araire par traction bovine

La récolte se fait encore à la main, le transport à dos de mulet, mais le battage est mécanisé ou se fait de manière traditionnelle dans certains secteurs.

Moisson manuelle de blé

En raison de l’isolement de nombreux secteurs, les activités agricoles traditionnelles ont permis la conservation de certaines variétés locales de blé qui ont pratiquement disparu de nombreuses autres régions, à la faveur de variétés promues par l’administration et le complexe agro-industriel.

Par rapport à l’élevage, il est du type extensif, et concerne tant les bovins que les ovins et les caprins. L’élevage bovin a tendance à diminuer pour être remplacé par des ovins ou des caprins. Les parcours fréquentés sont les terrains en friches, les prairies et les forêts où les animaux consomment en particulier le maquis et les glands de chênes.

Certaines pratiques d’élevage consistent en l’abattage de certains arbustes, notamment le filaire et la coupe des tiges feuillues de chêne zeen, ce qui impacte négativement la forêt utilisée comme terrain de parcours.

Elevage bovin à la lisière d’une forêt de chêne liège

Nouvelles pratiques et tendances

Parmi les nouvelles formes d’« agriculture », citons l’extraction d’huile de lentisque dont les cours se sont élevés au cours des dernières années. Nous ignorons si l’extraction de cette huile est généralisée à toutes les régions où pousse cette plante ou pas. L’activité étant connue pour être féminine.

La distillation du myrte pour la production d’eau florale ou d’huiles essentielles a été promue par de nombreuses associations, soutenues par des bailleurs de fonds internationaux. Contrairement à l’activité précédente, la distillation du myrte est handicapante pour les arbustes dont l’exploitation ne semble obéir à aucune règle. L’impact négatif des coupes de myrte consiste au fait que les plantes coupées se trouvent dans l’impossibilité de fleurir ou de fructifier après coupe. Nous ne savons pas en combien de temps la plante reprend son cycle naturel de reproduction après régénération. Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte qu’aucune initiative n’a encore été prise pour planter cette espèce en vue de sa distillation. L’aspect extractiviste de cette activité est évident, et personne ne semble le remettre en question !

Reste de myrte coupé pour la distillation (photo prise en pleine période de floraison)

C’est aussi le cas de la distillation de la menthe pouliot qui pousse naturellement dans les marécages, mais cette activité demeure marginale par rapport à la précédente, liée surtout à la faible extension des plages de menthe.

D’autres activités de récolte connexes et liées à la forêt consistent essentiellement en la collecte de champignons, vendus à des intermédiaires locaux et destinés aux marchés des grandes villes ou à l’exportation. Il faut aussi ajouter la collecte de glands de chênes, vendus sur certains marchés locaux et destinés à l’alimentation du bétail.

Conclusion

Cette présentation résume l’essentiel de nos observations au nord-ouest de la Tunisie au cours d’un récent séjour, mais aussi lors d’autres visites précédentes. Il est désormais clair qu’avec l’accroissement des besoins des familles et l’impossibilité des activités traditionnelles à les couvrir, la tendance est à la diversification des activités des foyers (agriculture, élevage, travail saisonnier dans les services forestiers ou en dehors de la région). La pénibilité des conditions de vie pousse certains à émigrer ou à opter pour certaines activités plus lucratives (charbonnage par coupe des arbres), ce qui signifie la consommation du capital naturel dont dépend l’essentiel de leurs activités.

Dans certains secteurs, notamment ceux proches des centres urbains, l’élevage extensif a pratiquement été abandonné au profit d’autres activités de services notamment. L’avenir des populations enclavées demeure problématique, surtout que l’agriculture ne génère pas assez de revenus pour permettre leur installation durable dans leurs terroirs. Le déficit de services décents (accès à l’eau, proximité des centres de soins et des écoles) est la principale raison qui pousse certains à l’émigration.

Il n’en demeure pas moins que la description détaillée des activités agricoles et l’ingéniosité des habitants de ces montagnes sont autant de tâches que la société civile engagée à défendre le droit de ces populations se doit d’entreprendre…

par: Mohsen KALBOUSSI