Dans les trois premières parties, nous avons observé l’évolution de la dette extérieure des PED lors des vingt dernières années. La première partie indiquait la hausse spectaculaire de l’endettement durant cette période, marquée par une multiplication par 2,5 de celle-ci et une forte accélération à compter de 2008. La seconde partie mettait en lumière les principales menaces sur la dette extérieure des PED, parmi lesquelles l’importance croissante de la part obligataire, l’évolution des taux d’intérêt et la dépréciation de leurs monnaies face au dollar étasunien. La troisième partie s’intéressait quant à elle aux facteurs conduisant les PED dans le piège de la dette : dépendance aux matières premières, baisse des réserves de change, hausse des remboursements, conjoncture de crise multidimensionnelle aggravée par la pandémie de Covid-19, etc.
Pour clôturer cette étude, nous approfondissons notre analyse en procédant à un focus région par région. Après les régions Amérique latine &
Caraïbe, et l’Afrique subsaharienne, nous poursuivons avec l’Afrique du Nord et le Moyen Orient (MENA).
Sommaire
1. Rappel : Focus général sur l’ensemble des PED
2. Région Afrique du Nord et Moyen Orient
Encadré : Le cas de l’Algérie et des autres pays exportateurs de matières premières : des pistes (…)
1. Rappel : Focus général sur l’ensemble des PED
Graphique 1 : Comparaison entre les montants prêtés annuellement et les montants remboursés annuellement (dette extérieure totale à long terme – en milliards de $US)

La ligne de couleur brune indique l’évolution des montants totaux prêtés annuellement au niveau international. La ligne bleue, indique les remboursements annuels totaux sur la dette extérieure.
Graphique 2 : Comparaison entre l’évolution du stock total de la dette et le transfert net (dette extérieure totale à long terme – en milliards de $US)

En écho avec le tableau 1 de notre première partie, le graphique 1 compare les montants prêtés (en orange) et les montants remboursés (en bleu – appelé également service de la dette) annuellement sur la dette extérieure totale à long terme. Le graphique 2 représente l’évolution du stock de la dette (en orange – échelle de droite) et des transferts nets (en bleu – échelle de gauche).
Comme indiqué précédemment, entre 2000 et 2006, le service de la dette est supérieur aux montants empruntés. Le stock de la dette augmente modérément. Le transfert net est globalement négatif. S’en suit une période courant de 2008 à 2019 où le transfert net est positif. On note une exception en 2015 qui résonne notamment avec la chute brutale du prix des matières premières. De manière générale on assiste à une hausse spectaculaire du stock et du service de la dette.
2. Région Afrique du Nord et Moyen Orient
Population de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient en 2019 : 456 millions
Dont population des PED de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient en 2019 : 389 millions
Liste des 13 PED [1] :
2 pays à faible revenu : Syrie, Yémen
11 pays à revenu intermédiaire : Algérie, Djibouti, Égypte, (Irak), Iran, Jordanie, Liban, (Libye), Maroc, (Palestine), Tunisie
Liste des 8 pays à haut revenu (non-PED) : Arabie saoudite, Bahreïn, Israël, Émirats arabes unis, Koweït, Malte, Oman, Qatar
Notez bien que les catégories de pays utilisées par la Banque mondiale sont discutables. Mais nous avons décidé de nous y référer afin de pouvoir utiliser la banque de données de la Banque mondiale. Pour la région MENA, son système statistique lié à la dette n’inclut pas l’Irak, la Libye et la Palestine, alors qu’elle donne des chiffres pour le Yémen et la Syrie qui sont également dans une situation de guerre.
Pour une critique des catégories utilisées par les institutions internationales, lire : « Sud/Nord, Pays en développement/pays développés : De quoi parle-t-on ? », https://www.cadtm.org/Sud-Nord-Pays-en-developpement-pays-developpes-De-quoi-parle-t-on
2.1. Évolution de la dette extérieure publique et des transferts nets
Graphique 3 : Évolution de la dette extérieure publique de la région Afrique du Nord et Moyen Orient par type de créancier (en milliards de $US)

Dans le graphique ci-dessus, on retrouve les deux phases énoncées précédemment. Entre 2004 et 2006, la hausse des revenus consécutive à l’augmentation des prix des matières premières permet une réduction de l’endettement. A partir de 2006, la dette extérieure publique s’accroit modérément avant de s’accélérer à compter de 2011. En outre, on peut distinguer les créanciers, répartis ici en 4 catégories :
En bleu : les créanciers bilatéraux. Ce sont les prêts entre États.
En jaune : les créanciers multilatéraux, hors Fonds monétaire internationale (FMI). Ce sont les prêts en provenance des institutions financières internationales (Banque mondiale, Banques de développement).
En rouge : les dettes à l’égard du FMI [2].
En vert : les créanciers privés. On distingue : en vert foncé, les emprunts contractés sur les marchés financiers sous la forme de titres souverains vendus la plupart du temps à Wall Street ; en vert kaki, les prêts bancaires ; en vert clair, les prêts en provenance d’autres types de créanciers privés.
Graphique 4 : Comparaison entre l’évolution du stock total et les transferts nets sur la dette extérieure publique de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient (en milliards de $US)

Rappelons que le transfert net sur la dette représente la différence entre ce qu’un pays reçoit sous forme de prêts et ce qu’il rembourse (capital et intérêts compris, appelé également service de la dette). Si le montant est négatif, cela signifie que cette année-là, le pays a remboursé davantage de prêts qu’il n’en a reçu.
Dans le graphique les colonnes en orange indiquent le transfert net.
Entre 2000 et 2019, la dette extérieure publique de la région MENA a été multipliée par 2. Cependant, tous les pays n’ont pas suivi la même trajectoire. A titre d’exemple, l’Algérie est classée parmi les dix pays les moins endettés au monde, avec un stock de la dette extérieure qui n’est que de 5,5 milliards de dollars en 2019, soit 3,3 % du PIB (voir l’encadré sur l’Algérie).
Sur ces deux décennies, plusieurs pays ont plus ou moins drastiquement réduit leur endettement extérieur public. Soit par choix politique (Algérie, – 94 %), soit en raison de sanctions internationales (Iran, – 93 %), auxquelles peuvent se rajouter une période de conflit (Syrie, – 23 %). En conséquence, leurs transferts nets sont très nettement négatifs (Algérie, – 34 milliards $US ; Iran, – 11 milliards ; Syrie, – 1,4 milliards). D’autres au contraire ont vu leur endettement augmenter dans des proportions énormes. S’il faut tenir compte des périodes de reflux (2000-2008) et d’afflux (2008-2019) de capitaux occidentaux (voir partie 1) et des fluctuations des prix des matières premières (voir partie 3) à l’image du Maroc (+ 111 %), il faut y ajouter les nouvelles dettes contractées après le « printemps arabe » auprès des institutions internationales – en particulier le FMI – afin de poursuivre le remboursement des anciennes dettes odieuses et poursuivre des politiques néolibérales (Tunisie, + 168 % ; Égypte, + 270 %). Trois autres pays se sont enfoncés dans une crise permanente de la dette (Jordanie, + 176 % ; Liban, +378 %, Djibouti, + 801 %). Exception faite du Liban, ces cinq autres pays ont renoué avec des transferts nets positifs dès 2011.
Encadré : Le cas de l’Algérie et des autres pays exportateurs de matières premières : des pistes d’alternatives
Les autorités du pays ont utilisé les importants revenus tirés de l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz pour désendetter le pays. Cela pourrait apparaître comme une politique à soutenir. Ce n’est pas le cas car une grande partie des revenus des hydrocarbures aurait dû servir à un autre but : satisfaire les besoins prioritaires de la population algérienne et investir dans des projets permettant de réduire la dépendance à l’égard des matières premières. Les dirigeants algériens ont préféré rembourser les créanciers. Ces remboursements ont enrichi à la fois les créanciers et les riches algériens liés au régime car les bailleurs leur versent des commissions secrètes. Ajoutons que le régime algérien qui a poursuivi et même augmenté les remboursements cherchait à être considéré comme un bon élève et un allié docile des puissances occidentales. Si un gouvernement populaire avait surgi des mobilisations massives contre le régime, il aurait dû mener une toute autre politique qui a été décrite d’une manière pédagogique dans « Il était une fois un gouvernement populaire qui voulait en finir avec le modèle extractiviste – exportateur » https://www.cadtm.org/Il-etait-une-fois-un-gouvernement-populaire-qui-voulait-en-finir-avec-le-modele Quelques axes de changement : Une transition énergétique doit être entamée vers l’élimination des énergies fossiles et l’utilisation des sources d’énergies renouvelables (l’énergie solaire, éolienne, et hydrique). Dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique et de la sauvegarde de la planète, il est certain que les mesures prises par un État, aussi riche soit-il en ressources pétrolières, seront insuffisantes. Il s’agit donc de mettre en place une coopération régionale et de jouer un rôle d’exemple pour les autres acteurs de la scène internationale. Au-delà, il faut développer un secteur manufacturier afin d’instaurer un modèle d’industrialisation par substitution d’importation, pour diminuer le nombre de produits importés, notamment finis et semi-finis, et de gérer sur place leur fabrication. On parle de produit semi-fini pour un produit qui a déjà été partiellement élaboré (par opposition à une matière première), mais qui doit être retravaillé ou conditionné avant d’être mis sur le marché (par opposition à un produit fini). Le gouvernement doit opter radicalement pour la souveraineté alimentaire du pays en soutenant la production vivrière locale utilisant des méthodes biologiques (opposées aux intrants chimiques). C’est l’agriculture familiale et paysanne en petites unités de production qui peut donner les meilleurs résultats. Bien sûr, il faut aussi développer des coopératives à taille humaine, mais sur une base strictement volontaire et sous contrôle des paysan-ne-s eux-mêmes. Il faudra de plus rationaliser rigoureusement la gestion des ressources hydriques avec une régulation entre l’agriculture et les autres secteurs. Le gouvernement doit aussi veiller à organiser un réseau de transports en commun gratuit irriguant toutes les campagnes, pour permettre aux petits producteurs agricoles qui produisent mondialement la majeure partie de la production vivrière, souvent des femmes, d’acheminer sur les marchés urbains leur production et de ne plus dépendre d’intermédiaires privés qui prélèvent de lourdes commissions. Les populations rurales auront ainsi un accès facilité aux infrastructures de soin, d’éducation et de culture et gagneront en émancipation à travers la liberté de déplacement. Afin de réduire la dépendance aux marchés financiers, qui rend le pays plus vulnérable à une éventuelle surévaluation de sa monnaie, il faut là aussi prendre une série de mesures audacieuses : en finir avec le système dette et couper les ponts avec les Institutions financières internationales. Pour cela, on devra réaliser un audit de la dette publique afin d’en déterminer les parts illégitimes, odieuses ou illégales, en vue de leur répudiation imposée, avec le soutien du peuple, aux créanciers de manière unilatérale et souveraine sur la base des textes juridiques internationaux ; en attendant, déclarer un moratoire sur le remboursement de cette dette sans pénalités de retard ; abandonner les politiques d’ajustement structurel et les accords de libre-échange ; quitter définitivement le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, et inciter les autres pays partenaires à faire de même ; déterminer la dette écologique et exiger son paiement de la part des grandes entreprises capitalistes ; demander en justice l’expropriation des biens mal acquis par les régimes dictatoriaux précédents et leur rétrocession sans aucune indemnité à l’État ; réinstaurer un contrôle sur les mouvements de capitaux ; taxer fortement les bénéfices des entreprises transnationales installées dans le pays et les patrimoines des grosses fortunes ; resocialiser les établissements et les services publics privatisés ; socialiser et décentraliser le secteur bancaire et les secteurs de l’énergie. À l’inverse de ce qui se pratique actuellement à destination des populations défavorisées, la socialisation du secteur bancaire permettrait de financer à taux zéro des emprunts de microcrédit pour de petites entreprises familiales ou personnelles, en permettant l’amélioration des conditions de production et la réalisation de projets à l’échelle locale. Pour mettre fin à l’endettement privé illégitime, le gouvernement devra aussi prendre des mesures concrètes en favorisant une nette amélioration des revenus des couches populaires, la généralisation des politiques sociales, des services publics et des programmes de logements gratuits, et la subvention des prix des produits de première nécessité. En effet, l’endettement a été utilisé depuis des millénaires comme un mécanisme de dépossession des paysans de leurs terres, de dépossession des artisans de leurs outils, de dépossession des familles populaires de leur logement. Le système des dettes privées illégitimes passe généralement par l’imposition de conditions d’emprunt et de remboursement qui rendent impossibles celui-ci. Cela aboutit à la dépossession (du logement, de la terre, des outils de travail) et/ou à l’obligation de consacrer de longues années, voire des dizaines d’années au paiement de la dette. Par voie légale, le gouvernement devra mettre fin aux mécanismes qui maintiennent le peuple sous le joug de la dette. |
Si les nombreuses revendications sociales à partir de 2006 ont retardé de trois années les velléités d’investissements des détenteurs de capitaux dans la région MENA, on retrouve néanmoins des tendances similaires à celles observées pour l’ensemble des PED. A savoir deux périodes distinctes, avec une dette extérieure publique globalement stable et des transferts nets négatifs dans un premier temps, et un renversement complet dans un second temps. Ainsi, entre 2000 et 2011, le transfert net est négatif (-67,23 milliards $US), soit 4 % du PIB de la région en 2011, et le solde devient positif pour les huit années suivantes (+ 20,13 milliards $US).
De même, si l’évolution de la dette extérieure publique des PED de la région MENA par catégorie de créanciers coïncide grosso modo avec celui de l’ensemble des PED, elle comporte néanmoins certaines spécificités. Autrefois majoritaire, la part bilatérale ne représente désormais qu’un quart de la dette extérieure publique. La part multilatérale a elle gagné en importance, en chiffres absolus, elle a été multipliée par plus de 3 entre 2000 et 2019 (en son sein, le montant des crédits du FMI ont été multipliés par plus de 6). Dans ce jeu des vases communicants, la part sous la forme de titres souverains (=obligations) s’est largement développée, représentant aujourd’hui un tiers du total. En chiffres absolus, le montant total des obligations ou titres souverains a été multiplié par 10 (passant de 7,32 milliards à 77,96 milliards). Ces titres souverains sont vendus sur les marchés financiers, presque exclusivement à Wall Street, à compter de 2008.
Tableau 1 : Évolution de la dette extérieure publique des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient par catégorie de créanciers entre 2000 et 2019, en valeur absolue et relative

Symbole des difficultés économiques rencontrées par ses pays, le nombre de pays ayant eu recours au FMI au cours de cette période, 8, soit 60 % des PED de la région. En 20 ans, ces pays ont emprunté 35 milliards $US au FMI, et en ont déjà remboursé 13 milliards, dont 15 % uniquement en charges et intérêts. Parmi les pays les plus frappés par l’intervention du FMI et ses politiques d’austérité, notons l’Égypte, le Liban ou encore la Tunisie.
Autre symbole, Djibouti est en situation de surendettement, et un tiers des PED de la région sont en suspension de paiement.
Montant de la dette extérieure publique des PED de la région en 2000 : 116 milliards $US
Montant de la dette extérieure publique des PED de la région en 2019 : 236 milliards $US
Les pays de la région en situation de surendettement en février 2021 [3] : Djibouti
Les pays de la région en suspension de paiement en février 2021 : Irak, Liban, Syrie, Yémen

2.2. La région MENA et les matières premières
Sans être la région la plus dépendante à l’égard des matières premières, 13 pays (tous revenus confondus) restent néanmoins fortement exposés à la fluctuation de leurs prix et des revenus d’exportation qu’ils en tirent. Cela concerne principalement les exportations de produits agricoles et de combustibles fossiles (voir tableau 2). La région est notamment fortement représentée au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) avec 7 pays sur les 13 membres au total [4]. Face à la baisse prolongée des cours du pétrole, les pays de l’OPEP se sont même accordés plusieurs fois à limiter la production et tenter de faire remonter les prix à l’exportation.
Tableau 2 : Dépendance des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient aux exportations de matières premières [5]

2.3 Fluctuation des monnaies face aux principales devises d’échange
Sur la période courant du 1er mars 2020 au 1er janvier 2021, les PED de la région MENA ont été globalement sujets à une dépréciation de leurs monnaies face au dollar étasunien et à l’euro, principales devises d’échange. Face au dollar, Maroc (+ 8,40 %), Libye (+ 6,14 %), Tunisie (+5, 71%), Algérie (- 9,04 %) et l’Irak (- 18,49 %) connaissent les plus grandes variations. Suivent une série de pays ayant eu une variation stable (Iran + 0,17 %, Syrie + 0,39 %, Yémen – 0,06 %, Égypte – 0,68 %) voire nulle pour ceux ayant leur monnaie indexée sur le dollar étasunien (Djibouti, Jordanie, Liban). En revanche, toutes les monnaies de ces pays se sont dépréciées face à l’euro dans un intervalle de – 3,03 % (Maroc) à – 27,09 % (Irak).

2.4. Évolution du service de la dette
Graphique 5. Service de la dette des PED de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (en milliards de $US)

En l’espace de vingt ans, le service de la dette de la région a presque doublé, passant de 15,12 milliards $US à 28,65 milliards $US. En 2006, on observe un pic. Profitant de la hausse des cours pétroliers, celui-ci est lié aux remboursements anticipés engagés par l’Algérie auprès de ses créanciers réunis au sein du Club de Paris [6]. La forte hausse du service de la dette à compter de 2018 relève quant à elle en grande partie de l’Égypte et d’un prêt conditionnel de 12 milliards $US signé avec le FMI en 2016 [7]. En 2019, 46 % de ces PED consacraient davantage de ressources au service de la dette qu’en dépenses de santé (Djibouti, Égypte, Jordanie, Liban, Maroc, Tunisie). Le service de la dette de ces 10 pays absorbait entre 10,6 et 41,2 % des revenus de l’État [8].
3. Contexte socio-économique
La région a connu à partir de fin 2010 début 2011 une vague de soulèvements contre les régimes despotiques et les diktats néolibéraux des IFI. Les nouveaux gouvernements ont poursuivi l’application des recettes néolibérale financées par un endettement croissant. Ces recettes incluent de plus de mesures d’austérité qui ont conduit à une détérioration du niveau de vie de la majorité de la population et à l’éclatement d’une deuxième vague de soulèvements populaires dans la région à partir d’octobre 2019.
Les répercussions de la crise de Corona accentueront davantage la détérioration des conditions sociales des couches populaires, notamment les catégories les plus vulnérables : les femmes, les enfants, les jeunes, les personnes âgées et les refugié·es. Le ralentissement économique provoqué par la pandémie jette dans la pauvreté 8,3 millions de personnes supplémentaires dans la région [9].
La région MENA connaît le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde (de plus de 27 % en moyenne) et les jeunes y sont cinq fois plus susceptibles de connaître le chômage que les adultes. 80 % des jeunes de la région travaillent au sein du secteur informel et souffriront par conséquent d’une baisse importante de revenus [10]. En Tunisie, en 2021, le taux de chômage (l’un des ressorts des protestations de décembre-janvier 2011) est toujours accablant, surtout auprès des jeunes et des régions intérieures du pays – près de 40 % dans plusieurs d’entre elles. C’est cette jeunesse qui est redescendue dans les rues de Tunisie depuis janvier 2021, mois-anniversaire de la Révolution de 2011.
La Covid-19 a encore creusé le fossé entre les riches et les pauvres dans les pays de la région MENA qui apparait déjà comme une région la plus inégalitaire au monde : 37 milliardaires détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population adulte [11].
Selon Piketty, Alvaredo et Assouad, le 1 % le plus riche au Moyen-Orient accapare un pourcentage beaucoup plus grand des revenus que dans les autres régions ou pays : « La part du revenu du centile supérieur est d’environ 30 % au Moyen-Orient, contre 12 % en Europe occidentale, 20 % aux États-Unis, 28 % au Brésil, 18 % en Afrique du Sud, 14 % en Chine et 21 % en Inde. » [12].
Pour l’ensemble de la région MENA, la Banque mondiale estime que le coût de la crise résultant de la pandémie Corona représentera à 116 milliards de dollars, soit 3,7 % du PIB régional.
Le FMI a indiqué que la relance de la croissance pourrait nécessiter des financements supérieurs à la somme considérable de 170 milliards de dollars envisagée pour 2021, s’ajoutant aux besoins de financement déjà élevés de certains pays.
Les gouvernements de la région n’ont trouvé d’autre choix que d’emprunter pour résoudre cette crise financière. La région est entrée dans une nouvelle vague d’endettement et de poursuite de politiques néolibérales.

4. Conclusion
Ici comme ailleurs, les dettes publiques ont fortement augmenté dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient. La crise économique mondiale rend de plus difficile la poursuite normale du remboursement de la dette. Les deux vagues massives de révoltes populaires, appelées « Printemps arabes », symbolisent entre autres choses ces difficultés. Dans ce contexte, il est plus que jamais justifié dans un premier temps de suspendre le paiement de la dette et de procéder à une répudiation des dettes illégitimes.
Les représentant-es de nombreux mouvements sociaux dans la région arabe (Moyen-Orient et Afrique du Nord) ont lancé fin avril 2020, un appel revendiquant l’annulation de la dette publique et l’abandon des accords dits de libre-échange pour faire face aux répercussions économiques et sociales de la pandémie de Coronavirus.
L’appel a été signé par plus de 100 associations, organisations et réseaux en Mauritanie, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Égypte, au Soudan, en Palestine, au Liban, en Jordanie et en Irak. Ce sont des organisations de défense des droits des paysan-nes, des associations anti-dette, des partis politiques, des centres de recherche, des coalitions, des syndicats, des organisations étudiantes et féministes et des associations de défense des personnes ayant des besoins spéciaux et autres.
L’appel a également été soutenus par plus de 100 associations, organisations et réseaux d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique latine. Il a été traduit en 8 langues.
Dans la suite de cette série, on analysera l’évolution de l’endettement des autres grandes régions d’Asie.
Évolution de la dette extérieure des PED entre 2000 et 2019
La bombe à retardement de la dette extérieure des Pays en développement
Les pays en développement pris dans l’étau de la dette
L’Amérique latine et la Caraïbe sont confrontées à une grave crise de la dette
Le fardeau insupportable de la dette pour les peuples d’Afrique subsaharienne
Afrique du Nord et Moyen Orient : nouvelle vague d’endettement
Notes
[1] La région compte au total 21 pays. Les pays entre parenthèses ne sont pas pris en compte dans le système statistique de la Banque mondiale lié à la dette.
[2] Bien que créancier multilatéral, le FMI n’apparait pas sous cette dénomination dans les bases de données de la Banque mondiale.
[3] List of LIC DSAs for PRGT-Eligible Countries As of February 28, 2021 : https://www.imf.org/external/Pubs/ft/dsa/DSAlist.pdf
[4] https://www.opec.org/opec_web/en/about_us/25.htm
[5] UNCTAD, State of commodity dependence 2019, p. 3-4.
[6] Voir Olivier Bonfond, « L’Algérie se désendette, mais à quel prix ? », 17 septembre 2006. Disponible à : https://www.cadtm.org/L-Algerie-se-desendette-mais-a-quel-prix
[7] Voir ENADED, « Le réseau égyptien pour l’abolition de la dette et le droit à un développement équitable (ENADED) », 25 mai 2018. Disponible à : https://www.cadtm.org/Le-reseau-egyptien-pour-l
[8] https://jubileedebt.org.uk/wp-content/uploads/2020/04/Debt-payments-and-health-spending_13.04.20.pdf
[9] Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (UNESCWA. Avril 2020.
https://news.un.org/en/story/2020/04/1060822
[10] OCDE : « Réponse à la crise du Covid-19 dans les pays de la région MENA », 6 novembre 2020.
https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/reponse-a-la-crise-du-covid-19-dans-les-pays-de-la-region-mena-082e24c2/#back-endnotea0z79
[11] Oxfam : “For a Decade of Hope Not Austerity in The Middle East and North Africa”, AUGUST 2020.
https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/621041/bp-mena-inclusive-recovery-260820-en.pdf
[12] Thomas Piketty, Facundo Alvaredo et Lydia Assouad, « Measuring lnequality in the Middle East 1990–2016 : The World’s Most Unequal .Region ? » – AAP2019RIW.pdf publié en 2018, http://piketty.pse.ens.fr/files/AAP2019RIW.pdf consulté le 21 mars 2021
Eric Toussaint , Omar Aziki , Milan Rivié